RIGNAT, VILLAGE EN TAS

Publié le par ACTEURS

Merci à Paul Cattin pour cette intéressante documentation

INSTITUT DES ÉTUDES RHODANIENNES DE L'UNIVERSITÉ DE LYON

MÉMOIRES ET DOCUMENTS

9

René LEBEAU

Professeur à l'Université de Fribourg (Suisse)

LA VIE RURALE DANS LES MONTAGNES DU JURA MÉRIDIONAL

ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE HUMAINE

OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

PUBLICATION HORS SÉRIE DE LA REVUE DE GÉOGRAPHIE DE LYON

1955

Extrait :

« en avant, la séparant de la rue, est l'espace réservé au fumier ; en arrière un jardin ou un champ. Mais ces parcelles sont moins allongées et moins régulières ; aussi les maisons ont un plan qui évoque parfois encore une disposition « en profondeur », moins prononcée, et qui se rapproche parfois du carré. Entre les groupes de maisons, derrière elles, existe aussi une zone de petits champs qui se distinguent des prés (au Nord) et des champs assolés en lanières du finage (à l'Est), mais moins nettement qu'à Champdor. Les groupes de maisons accolées représentent ici aussi les groupes d'anciens « meix » resserrés sur les espaces à bâtir, exempts de dîme ; la disposition régulière de certains de ces groupes de parcelles, surtout aux extrémités du village, la distance qui les sépare, laissent à penser que ce sont des fondations assez tardives, faites selon un plan préconçu, à partir de granges dispersées.

Peut-être l'agglomération primitive se trouvait-elle au point de convergence des chemins, car le nom de «Sinissiat» évoque un peuplement gallo-romain. Cet exemple suggère que le centre de peuplement primitif, à la croisée des chemins desservant le finage, a disparu (lors des invasions barbares ?), et qu'un habitat de granges séparées l'a remplacé, au même endroit, habitat dont le village actuel, fragmenté, dissocié, est issu.

Ce type d'agglomérations est incontestablement le plus fréquent dans les parties basses et moyennes du Jura Méridional ; pourtant, on en rencontre d'autres qui sont de classiques « villages en tas » (Haufendorf). Rignat, en Revermont, montre par exemple ses maisons, pressées, réparties par îlots entre lesquels s’insinue un lacis de ruelles qui, hors du village, rayonnent sur le finage en une superbe étoile de chemins (Fig. 17 et 30).

Une telle agglomération semble ne révéler que désordre : plus de files de maisons bien alignées, dans des groupes de parcelles semblables, longues et étroites ; par contre, elle est plus homogène, plus groupée, elle a un noyau. C'est là, au centre, dans la zone où convergent les chemins, que le désordre est le plus manifeste : les parcelles minuscules et multiformes, qui portent les maisons se pressent au hasard dans deux ou trois îlots cernés de chemins qui représentent sans aucun doute les meix primitifs. Les maisons de ces îlots ont des plans très divers : carré surtout, mais aussi « en longueur », « en profondeur » (on les reconnaît à la disposition de l'escalier extérieur qui donne accès aux pièces habitées).

Ces maisons ont toutes les orientations: les unes donnent sur la rue, d'autres sur une cour intérieure. On dirait que les meix ont pullulé anarchiquement sur un « pourpris » trop étroit, les bâtiments se casant comme ils pouvaient, prenant la forme que les espaces libres commandaient : ici encore en un sens, la forme des parcelles détermine le plan des maisons ou plutôt la fantaisie de leur plan. Le pullulement des habitations sur ces îlots en a chassé les jardins, qui semblent avoir été groupés en « quartiers » sur le pourtour de l'agglomération. Dans les parties plus extérieures du village, le groupement des maisons rappelle celui des types précédents, Champdor, Sinissiat : files de bâtiments accolés, escalier extérieur vers la rue. On pense à des créations postérieures, plus ordonnées, faites d'un seul coup. Pourtant, il y a toujours ici davantage de fantaisie : les parcelles sont de forme diverse, plus ou moins allongée ; elles portent des maisons de plan très variable, qui bordent ici directement la rue, et laissent là en avant un espace libre pour le fumier ; qui sont parfois prolongées, en arrière, par un jardin, mais n'en ont pas toujours.

Aux alentours du village, on retrouve aussi le contraste entre les grandes parcelles de pré du finage et la zone des petits champs voisins des maisons, une haie marquant parfois leur contact, mais il n'est pas aussi net qu'en Haut-Bugey. Ce type de village marque ainsi une certaine continuité dans son développement : au centre, au nœud des chemins, l’ancien centre de peuplement, aux meix irréguliers ; tout autour les nouveaux groupes (les maisons, mieux rangées, qui sont venus peu à peu s'y ajouter, mais ne semblent pas provenir de granges isolées, et n'ont pas la régularité des villages du Haut-Bugey. Manière différente d'implanter les nouveaux colons ? Création plus ancienne ? Peut-être en Haut-Bugey, où les disciplines communautaires étaient fortes, les lots de terre destinés par le seigneur à l'installation des futurs meix étaient-ils partagés à l'avance et également, alors que dans les basses montagnes, où l'individualisme agraire était plus grand, on laissait les nouveaux colons s'y installer à volonté.

Et le Haut-Bugey a certainement connu au Moyen-âge plus de fondations nouvelles, faites tout d'une pièce, que le reste du Jura Méridional, où le peuplement était plus ancien, les terres occupées : les grandes Abbayes, les féodaux laïcs au Moyen-âge attirèrent systématiquement les colons dans la montagne, et préparèrent peut-être à leur usage des « lotissements » régulièrement divisés. De fait, les villages-en-tas se trouvent surtout en Revermont, au contact des bas chainons du Jura Central qui en portent beaucoup aussi, et ces régions sont parmi les plus anciennement peuplées du Jura : l’Abbaye de St Claude en fit venir bon nombre des colons qui occupèrent le Haut-Jura et le Nord du Haut-Bugey.

Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015
Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015
Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015
Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015
Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015
Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015

Carte postale 1957 et vues aériennes 1985 et 2015

Publié dans urbanisme

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